samedi 4 avril 2009

Le procès de l'intime conviction

Durant de nombreuses semaines, un procès fleuve a émaillé la presse écrite, radiophonique et télévisuelle. J’aurai pu écrire mon billet sur la curieuse conception de la justice de ce pays, qui maintient en son sein des juridictions d’exceptions, telle cette cour d’assise spéciale, digne héritière de la sinistre Cour de Sûreté de l’Etat, créé en 1963, supprimé en 1982, et remplacé en 1986 par cette cour d’assise très spéciale puisque formée de sept magistrats professionnels. La Fédération Internationale des ligues des droits de l’homme l’a dénoncée  dans un rapport après une enquête réalisée par deux avocats, Mickael Mc Colgan (Grande Bretagne) et Alessandro Attaanasio ( Italie) , entre les mois d’avril et novembre 1998. Ce rapport a été publié en janvier 1999 sous le titre «France , la porte ouverte à l’arbitraire »

On le voit, déjà rien que là, il y aurait de quoi en écrire des pages. Mais mon propos sera tout autre, et vise un particularisme franco-français, hérité cette fois de l’Ancien Régime, et des lettres de cachet, du pouvoir discrétionnaire du Roi : la notion de l’intime conviction.
L’article 353 du code de procédure pénale dit en effet :
 » La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs :  » Avez-vous une intime conviction ? « . »
 Sous son apparence élégante, ce texte fondamental implique qu’il est possible, et même probablement recommandé, de juger sans preuve. Car, autre bizarrerie de la cour d’assise, ordinaire ou spéciale d’ailleurs, les juges n’auront pas à motiver leur décision. C’est-à-dire à la justifier. Voilà tout de même un système bien curieux, ou pour un délit passible de la correctionnelle et d’une peine de prison d’un an, deux ans, trois ans, dix ans au plus, le juge devra motiver sa décison, c’est à dire expliquer comment il est entrer en condamnation, alors qu’en matière criminelle, là où le risque d’enfermement peut atteindre la perpétuité, assortie d’une peine de sûreté incompressible on ne demande rien, que ce soit aux jurés, ou au magistrats professionnel pour expliciter comment ils sont arrivés à la décision qu’ils prononcent.
Ce système sidère les juristes anglo-saxons, qui ne reconnaissent que le système de la preuve. Il éblouie également bon nombre de pays européen qui ne se reconnaissent pas dans ce système archaïque. En France, nous avons eu les plus grands philosophes, au siècle des Lumières, nous avons voulu continuer dans cette voie, en transformant nos procureurs en éminent théoriciens de suppositions farfelues et tirées par les cheveux,  pourvu que celà serve le principe de l’accusation, via l’intime conviction. Et je reconnais de ce point de vue aux procureurs un grand talent oratoire à développper des suppositions, des projections, des intentions, à partir de pas grand chose. De Gaston DOMINICI à Patrick DILS, en passant par l’affaire dite du « pull-over rouge », et tant d’autres, le système  a fonctionné à plein… doute parfois, pour Dominici et Ranucci encore aujourd’hui, certitude pour Dils reconnu non coupable au terme de procédures multiples lui ayant gâché de très nombreuses années de sa vie. Il y aurait encore de quoi dire sur l’affaire AGNELET,  d’abord relaxé en 2006 par une première cour d’assise, puis condamné en 2007 à vingt ans en appel, interjeté par le parquet. Comment peut-on, justifier un tel écart ? Récemment, le procès de l’hormone de croissance, en correctionnel, c’est terminé par six relaxe. Le résultat aurait-il été le même par devant une cours d’assise ou toutes les supputations et théories sont possibles à élaborer ? Cette persistance à vouloir maintenir au XXIème siècle, une procédure datant du XIXème siècle où n’existait pas les moyens d’investigations est surprenante. Dans ce pays chantre des Droits de l’Etre Humain, – soit disant – peu importe que l’application de ce principe inique foule aux pieds deux des principes fondamentaux du droit : la présomption d’innocence, et le doute doit bénéficier à l’accusé.

Et j’adhère totalement aux propos du philosophe Michel TERESTCHENKO, que je reproduis ci-dessous :

La justice humaine n’a d’autre fondement que ce qui est su et démontré avec assez d’évidence pour autoriser légitimement la société à priver un homme de sa liberté. La sécurité des citoyens dans un Etat de droit repose sur ce principe essentiel et elle se paye du prix qu’il est, en effet, possible qu’un homme coupable échappe à la justice de ses semblables, tout simplement parce que la preuve de sa culpabilité fait défaut et que le doute doit lui bénéficier. Faute de quoi, il n’est personne qui ne puisse un jour ou l’autre se trouver mis en cause et même conduit en prison. Il s’agit de défendre le droit de chacun d’entre nous à être protégé contre une justice qui n’a pas à rendre raison de ses jugements. Emplacement d’origine de cette citation

Il est temps de se pencher sur cette disposition moyennâgeuse de notre droit pénal, car aujourd’hui on peut toujours juger sans preuve.
Et je préfère pour ma notion de respect des Droits de l’Etre Humain qu’un coupable échappe à la justice plutot qu’un innocent croupisse en prison. C’est le principe d’un Etat de droit échappant à l’arbitraire. Je ne suis pas adepte du flamboyant « tuez les tous, Dieu y reconnaîtra bien les siens« , car je n’oublie jamais que je pourrais bien être inclus dans ce « tous » demain….


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