(Cour EDH, 3e Sect. 19 juillet 2011, Rupa c. Roumanie n° 2)
Implications contentieuses du droit à l’assistance effective par un avocat et incertitudes sur le degré des exigences strasbourgeoises
par Nicolas Hervieu
Dans une affaire née de l’arrestation mouvementée d’un homme par la police roumaine, les carences alléguées dans l’effectivité de l’assistance par un avocat (« manque de continuité dans [l]a défense par les avocats commis d’office » ; « désignation de ces avocats le jour même de l’acte processuel » ; déclaration faîte par l’accusé pendant l’instruction « sans la présence d’un avocat » ; prétendue passivité de « l’avocat commis d’office » qui n’aurait « pas fourni une défense réelle devant le procureur » – § 72) n’ont pas été jugées suffisamment graves ou établies pour emporter la violation du droit à un procès équitable (Art. 6). La Cour européenne des droits de l’homme estime en particulier que la déclaration faîte sans la présence d’un avocat n’était qu’ « un épisode isolé, et qu’à aucun moment les autorités n’ont essayé de restreindre le droit du requérant de se faire assister par un avocat » (§ 76). Ceci, d’autant plus que « ce sont [l]es déclarations […] faites en présence du conseil du requérant […] que les tribunaux ont utilisé pour fonder leur décisions, et non pas la déclaration qu’il avait faite sans représentant » (§ 77). Par ailleurs, poursuivant une approche souple car fondée sur une lecture « globale[… de] la procédure » (§ 83), la Cour estime que « la présence [ultérieure] devant les juridictions des défenseurs qu[e le requérant] avait choisi […] a pu remédier » aux « difficultés éventuelles liées à sa représentation devant le parquet » – i.e. lors de l’interrogatoire initial par le procureur (§ 82). Le fait que l’intéressé ait « maintenu ses déclarations tout au long de la procédure et qu’il ne [se soit] pas plaint de l’ineffectivité de sa défense d’office » (§ 82) conforte la conclusion strasbourgeoise selon laquelle, en l’espèce, « les autorités ont pris des mesures adéquates pour garantir au requérant une défense et une représentation effectives » (§ 83). Par ailleurs, la Cour rejette les griefs formulés au titre de l’article 3 en son volet matériel (interdiction d’infliger des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants – § 45-49) ainsi que ceux relatifs à l’article 13 (droit à un recours effectif – § 57-64). La Roumanie est toutefois condamnée pour violation du même article 3 mais seulement en son volet procédural (obligation d’enquête effective sur les allégations de torture et de traitements inhumains ou dégradants).
A l’évidence, la solution adoptée sur le terrain de ces articles 3 et 13 n’a guère suscité de débats au sein du Palais des Droits de l’Homme puisqu’elle a été acquise à l’unanimité des juges. Mais il en a été tout autrement au sujet du droit à un procès équitable et, spécifiquement, du droit à l’assistance effective par un avocat (Art. 6 § 1 et 3 c)). C’est en effet à une infime majorité (quatre voix contre trois) que la Cour a décidé de ne pas condamner la Roumanie à ce propos. Dans leur opinion dissidente commune, les juges Gyulumyan, Ziemele et Poalelungi ont révélé la teneur du désaccord européen : ils ont plaidé en faveur d’une vision bien plus rigoureuse et exigeante du droit à l’assistance effective d’un avocat. A leurs yeux, le seul fait qu’« à une reprise au moins, durant [la] phase [de l’instruction et donc au tout début des poursuites pénales], le requérant a[it] fait une déclaration sans la présence d’un avocat » était « susceptible de compromettre sérieusement l’équité de la procédure pénale tout entière » (§ 2). De plus, prenant le contrepied de la solution de la majorité, ils estiment que la « présence [d’avocats] aux côtés du requérant, devant les juridictions, n’a pu remédier aux lacunes quant à sa représentation devant le parquet » (§ 3) car le « caractère discontinu de la défense et […] l’absence de temps pour ces avocats pour préparer l’affaire » (§ 4) ont empêché ces derniers « de se familiariser avec le dossier du requérant [et] de s’entretenir avec lui » (§ 4). Partant, les juges minoritaires considèrent que « les autorités [roumaines] n’ont pas pris de mesures pour garantir au requérant une défense et une représentation effectives, et ont ainsi manqué à leur obligation de réagir pour garantir l’effectivité de sa représentation » (§ 6).
A supposer qu’il ait été possible d’en douter un seul instant, cet arrêt apporte une éclatante confirmation : le contentieux du droit à l’assistance par un avocat est bien loin d’être un chapitre clos à Strasbourg. Même dans l’hypothèse où la présente affaire ne ferait pas l’objet d’un renvoi en Grande Chambre (Art. 43), gageons que la Cour européenne des droits de l’homme ne manquera pas d’autres occasions pour clarifier et affiner sa position (v. ainsi en France où la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue est déjà menacée par les exigences conventionnelles – voire constitutionnelles –, en particulier sous l’angle de l’accès au dossier par l’avocat).